Claude Meisch: "Construire plus haut, partout où c'est possible"

Interview avec Claude Meisch dans paperjam.lu

Interview: paperjam.lu (Marc Fassone et Thierry Labro)

 

Paperjam: Le 16 septembre, à l'occasion du forum économique de rentrée de la Chambre de commerce, Carlo Thelen a déclaré: "La crise du logement, malgré d'importants investissements dans les infrastructures et des mesures étatiques ciblées, continue de s'aggraver." Quand pensez-vous que l'on en sortira?

Claude Meisch: "Je n'ai hélas pas de boule de cristal. Mais je constate malgré tout une certaine reprise. La demande, compte tenu de l'évolution démographique, est toujours là: plus de 9.000 personnes arrivent chaque année au Luxembourg. Il faut voir qui elles sont et comment elles souhaitent se loger, en louant ou en achetant. Il convient de différencier selon les publics cibles et de développer des projets adaptés aux besoins. Reste aussi à rattraper le retard accumulé ces 20 dernières années. La demande existe, les produits sont attendus. C'est du côté du financement que les choses se compliquent, que ce soit par rapport à la valeur demandée ou aux coûts. Nous avons considérablement renforcé les aides à l'acquisition d'un bien, car nous savons que très souvent les banques ne prêtent pas à des personnes disposant de peu de fonds propres ou de revenus modestes.

Nous communiquons largement sur ces aides mises en place pour les acquéreurs privés. C'est d'ailleurs symptomatique de la période actuelle: il n'y a pas si longtemps, ces aides étaient inutiles, car les produits se vendaient d'eux-mêmes.

Aujourd'hui, les promoteurs doivent adapter leurs projets aux moyens et aux soutiens financiers disponibles pour leurs clients. C'est une nouvelle ère qui s'ouvre, dans laquelle il faudra rester innovant pour pouvoir s'adapter.

Paperjam: Qu'entendez-vous par innovation?

Claude Meisch: "Prenez la question de la colocation, introduite dans la loi réformant les baux d'habitation. On a constaté un intérêt certain de la part du secteur immobilier pour investir dans des projets de colocation, où les rendements semblent plus élevés que pour les logements standards. Chez les politiques comme chez les professionnels, persiste l'idée que chacun voudrait vivre comme nous le faisons et que chaque logement devrait correspondre à notre propre rythme de vie.

C'est une erreur. Aujourd'hui, les modes de vie sont très variés: certains travaillent trois jours au Luxembourg et vivent ailleurs le reste de la semaine; d'autres travaillent de jour ou de nuit et n'ont pas besoin d'un grand logement avec deux chambres. Il faut se donner les moyens de répondre à ces attentes nouvelles en permettant au marché de mieux s'adapter. Actuellement, on constate que deux types de biens manquent: les petits studios et les logements de quatre ou cinq chambres.

Paperjam: Dans sa politique du logement, le gouvernement a fait preuve de beaucoup de volontarisme. Que peut-il faire de plus face à un marché dont le redécollage reste lent et partiel?

Claude Meisch: "Il ne faut pas penser que la solution viendra uniquement du politique. Nous avons un rôle à jouer et nous avons assumé nos responsabilités face à la phase aiguë de cette crise, afin de stimuler l'acquisition de biens nouvellement construits ou l'investissement dans l'immobilier, ce qui a généré une certaine activité. Mais nous répétons depuis le début que le marché lui-même doit trouver un nouvel équilibre entre la valeur de l'immobilier et les frais de financement.

Aujourd'hui, il s'oriente dans cette direction. Notre action a permis de freiner la hausse des prix, tant dans l'existant que dans le Vefa. Les prix sont devenus plus raisonnables que ceux observés ces deux dernières années. C'est un bon résultat, dont il faut partager la responsabilité avec le secteur privé et les communes. Nous avons lancé un paquet ambitieux pour faciliter la construction.

Certaines mesures n'ont pas encore été traduites en loi - le processus législatif prend du temps -, mais elles permettront de construire plus et plus vite à un moment où la demande est revenue. Je ne pense pas, en revanche, que l'on reverra dans les dix prochaines années des taux d'intérêt osciller autour de 1 à 1,5%. Il faudra vivre avec les 3,5% actuels. Il faut donc aussi travailler sur la conception de l'offre et sur ses prix pour que particuliers et investisseurs reviennent sur le marché. À ce niveau, une réflexion doit s'engager sur l'évolution du modèle VEFA, car ce ne sera plus le seul modèle possible à l'avenir. L'époque où l'on pouvait développer un projet, le mettre sur le marché, en vendre rapidement 80%, obtenir les financements puis le construire, était exceptionnelle. Des croissances de l'ordre de 10% par an n'étaient ni soutenables ni durables.

Paperjam:Attaqué ainsi que leurs marges, le réflexe naturel des promoteurs n'est-il pas de faire de produits haut de gamme avec une meilleure marge que des logements accessibles?

Claude Meisch: "Oui, cela se peut. C'est pourquoi il revient à la puissance publique de loger chacun convenablement. Il faut disposer d'un nombre suffisant de logements abordables sur notre territoire. Le développement d'un tel parc est une priorité de ce gouvernement - et pourquoi pas en collaboration avec le secteur privé? Le programme de rachat de Vefa en est un exemple. Nous avons également lancé des projets pilotes dans lesquels nous ne faisons pas l'acquisition d'un bien, mais le louons pour le relouer à des familles éligibles à un loyer abordable, la différence étant prise en charge par l'État. Ce modèle innovant permet d'associer le secteur privé à la création de logements abordables. Ce n'était pas la politique avant 2023, quand prévalait une séparation nette entre, d'un côté, les promoteurs publics (SNHBM, Fonds du logement), les communes et les associations caritatives, et, de l'autre, les promoteurs privés. Deux mondes qui se comprenaient mal, voire s'opposaient.

Nous construisons aujourd'hui des ponts entre eux pour favoriser le logement abordable. Je pense que la solution à la crise passe par la collaboration entre ces acteurs. J'ai toujours dit que développer un projet comprenant deux ou trois résidences et en vendre une à l'État a du sens: cela améliore le financement des deux autres. Il existe des façons intelligentes de collaborer, où chacun trouve son compte. C'est un message que je répéterai encore et encore cette semaine.

Paperjam:Face à la pénurie de logements et de surfaces, ne devrait-on pas favoriser la construction de tours?

Claude Meisch: "Dans un petit pays comme le nôtre, il faut gérer au mieux l'utilisation des sols. C'est le discours que je tiens en tant que ministre de l'Aménagement du territoire. Nous voulons construire plus, plus vite et surtout au bon endroit. Partout où cela est possible, il faut pouvoir aller plus haut. Personnellement, j'habite au treizième étage. C'est plutôt l'exception au Luxembourg, mais cela offre une certaine qualité de vie. Il est tout à fait possible d'accueillir 400 personnes sur une surface au sol réduite tout en garantissant cette qualité de vie.

Paperjam: Ce n'est pas la tradition luxembourgeoise. N'avez-vous pas peur que les craintes du voisinage et des bourgmestres ne rendent cette solution impraticable?

Claude Meisch: "Nous n'allons pas construire de tours dans les petits villages, qui ont vocation à conserver leur caractère rural. En revanche, sur les friches industrielles, de tels développements sont envisageables. Cela s'est fait au Kirchberg ou à Gasperich et cela contribue à faire évoluer la mentalité des résidents. Construire plus haut est une option, mais ce n'est pas une solution miracle: c'est un élément parmi d'autres pour parvenir à une solution globale.

Paperjam: Combien de logements faudrait-il livrer par an pour pouvoir dire que la crise du logement est terminée?

Claude Meisch: "C'est une question à laquelle il n'est pas facile de répondre, car la solution dépend de nombreux facteurs: la croissance économique, l'évolution de l'emploi ou encore le nombre moyen de personnes par logement. Par exemple, au Luxembourg, bien que le logement soit très cher, nous nous permettons le luxe de vivre avec peu de personnes sur beaucoup de mètres carrés, comparé à la France, la Belgique ou l'Allemagne. Il est difficile d'avancer un chiffre, mais il devra en tout état de cause être supérieur à ce que nous avons réalisé ces dernières années. (NDLR: entre 2009 et 2019, le Luxembourg a vu 35.939 logements achevés, soit une moyenne de plus de 3.200 par an, selon le rapport d'activités 2024 du ministère du Logement)."